
J’ai beaucoup entendu parler en ce 21 juin 2022 du quarantième anniversaire de la Fête de la musique.
J’ai à ce sujet quelques souvenirs. Que personne n’y voit de la jalousie, mais si Jack Lang peut revendiquer la paternité de cette Fête, son inspirateur c’est bien Maurice Fleuret. En 1981, ce critique musical pour France Observateur devenu le Nouvel Observateur est devenu le directeur de la Musique et de la Danse du ministère de la Culture. Jusque là, il avait entre autres été directeur du Festival de Lille.
J’ai croisé à plusieurs reprises Maurice Fleuret du temps du Festival de Lille. Il était notamment venu à l’Ecole supérieure de journalisme, quand j’y étais étudiant. Il nous avait amené quelques échantillons de son incroyable discothèque, pour nous inciter à ouvrir les oreilles et découvrir des cultures et des musiques trop longtemps ignorées du public, et notamment les musiques de tradition orale. Je me souviens notamment de plusieurs extraits de musique balinaise qui avaient scotchés les étudiants que nous étions, et dont il avait tenté de faire découvrir la complexité.
Quelques temps plus tard, il avait souhaité monter une création de Luciano Berio, « Accordo », un hymne à la paix pour 1000 musiciens d’harmonie. Les musiciens amateurs du Nord et du Pas de Calais s’étaient retrouvés, après des jours et des jours de répétitions séparées, dans le grand hall de la Foire de Lille où ils étaient installés sur quatre grandes estrades, avec autant de chefs qui se coordonnaient avec leur chronomètre. Tous ces musiciens amateurs, au très beau sens de ce mot, peu familiers des partitions de musique contemporaine, entraient dans un monde nouveau, dans lequel ils étaient parfois déboussolés, parfois rassurés, parce que Berio faisait cohabiter des lignes mélodiques très contemporaines avec des airs populaires.

A la fin de Accordo, le compositeur avait demandé à ce qu’on confectionne des messages de paix qui descendent en pluie depuis la charpente du Palais pour inonder le public et les musiciens
Au final, tout le monde avait été enthousiasmé par cette aventure, au point que Luciano Berio avait proposé à la caravane de traverser les Alpes pour reproduire l’événement à Turin, sur la Piazza San Carlo.
Imaginez les dizaines de bus, les accompagnants, et une expérience inouïe pour certains dont c’était le premier voyage à l’étranger !
Maurice Fleuret avait depuis longtemps compris que tous les musiciens peuvent parler entre eux, qu’ils aient fait ou non le conservatoire, qu’ils soient rockers, ou cornemuseux, ou chanteurs, trompettiste dans une harmonie de village ou à l’Orchestre national de Lille.
C’est le sens de la Fête de la musique : ce jour-là, tous les musiciens peuvent mettre la main à la pâte et montrer que leur art s’adresse à toutes sortes de public, sans exclusive, sans ostracisme. Il faut impérativement que la Fête de la musique devienne une tradition, en France et dans tous les pays qui le souhaitent, à l’occasion du jour le plus long de l’année dans notre hémisphère.

En 1986, Mitterrand est président de la République et doit composer avec une majorité de droite issue des élections législatives de mars. Il nomme Jacques Chirac Premier ministre et le ministre de la Culture n’est plus Jack Lang mais François Léotard. Au ministère de la Culture, et notamment à la direction de la Musique, on se demande ce qu’il va advenir de la Fête de la Musique. François Léotard est un politique avisé, en tout cas à ce moment-là. Très vite, il reprend à son compte la Fête de la musique, et Maurice Fleuret demeure à son poste pour parachever son travail.
Il sait que si la fête traverse cette cohabitation, elle s’installe dans nos mœurs et a de beaux jours devant elle. Et votre serviteur se retrouve à la direction de la musique dans la petite équipe chargée de coordonner autour de Maurice Fleuret la fête de la musique un peu partout en France et dans le monde.
Et le 21 juin 1986, nous sommes en pleine coupe du monde de football, la France rencontre le Brésil au stade Guadalajara, en quarts de finale ! Un bel événement pour les amateurs de foot, un suspense assez insupportable pour ceux qui ont à cœur de faire un événement de la fête de la musique cette année-là. Le suspense ira jusqu’à son terme : les Français battent les Brésiliens aux tirs au but, après 130′ d’angoisse…
Tout est bien qui finit bien ce soir là, les supporters sont fatigués, mais la joie de la victoire les incite à rejoindre les musiciens, au cœur de la nuit.
En septembre 86, Maurice Fleuret peut quitter un peu rasséréné la rue Saint-Dominique : sa fête de la musique a traversé une cohabitation et un Mondial de football, plus forte que jamais. En 1988, Mitterrand est réélu pour un deuxième septennat, Jack Lang redevient ministre de la Culture, sans Maurice Fleuret, qui décline l’invitation qui lui est faite.
Il se sait malade, et il décèdera en 1990, à 58 ans. Je me rappelle de l’hommage qui lui a été fait à cette occasion, au théâtre des Champs Elysées. Tous ceux qui le connaissaient et l’aimaient étaient réunis pour le célébrer. Je me souviens qu’il avait souhaité qu’on joue en sa mémoire la « Petite messe solennelle » de Rossini. Un titre qui est en soi tout un programme, avec la pointe d’ironie dont il savait faire preuve en toute occasion. Je le revois ainsi dans son bureau le jour de la nomination de François Léotard et il était très fier de son jeu de mot à la minute où il l’apprenait : « Pour Léautaud, c’est trop tard, pour Léotard… »
PS. J’avais déjà évoqué la Fête de la musique en 2019 https://baillotlaretraite.com/2019/06/20/21-juin-ma-petite-histoire-de-la-fete-de-la-musique/