
Chaque 21 juin, premier jour de l’été, mais surtout date de l’incomparable Fête de la musique, j’ai une pensée particulière pour Maurice Fleuret.
Cet amoureux inconditionnel de la musique sous toutes ses formes, originaire de la Talaudière (6500 habitants), dans le département de la Loire, se destinait tout d’abord au métier d’instituteur, avant que sa curiosité insatiable ne le conduise au Conservatoire de Paris pour y suivre les cours de Norbert Dufourcq et Olivier Messiaen.
Très vite, Maurice Fleuret souhaite partager ses découvertes au sein des Jeunes musicales de France (JMF). Il devient dans la foulée critique musical au journal Combat, puis à France Observateur, devenu ensuite le Nouvel Observateur.
Il a depuis toujours la volonté d’ouvrir à un public très large de nouveaux horizons : les compositeurs vivants (Luciano Berio, Karlheinz Stockhausen, Pierre Boulez), mais aussi les musiques du monde, les transmissions de musiques non écrites …
En 1970, Pierre Mauroy propose à Maurice Fleuret de prendre la direction du Festival de Lille, dont il décuplera l’audience et la notoriété, en élargissant ses cibles et en portant un soin tout particulier aux cultures non « officielles » : le jazz, la musique contemporaine mais aussi le rap, la cornemuse, les harmonies et fanfares, les traditions africaines, balinaises, asiatiques, qu’il côtoyait assidûment. Lille 3000, et sa version 2019, Eldorado, que nous partageons ce 23 juin 2019 sur la plaine des Périseaux doivent énormément à Maurice Fleuret.
En 1979, je croise une première fois Maurice Fleuret, à l’École supérieure de journalisme de Lille. Le directeur vient à la rencontre des étudiants avec des valises pleines de disques de Mahler, qu’il connaissait mieux que quiconque, excepté son compagnon, Henry-Louis de La Grange, biographe et zélateur incontesté du compositeur autrichien, mais aussi de Bach, de chants balinais ou de mélopées syriennes, tahitiennes…
Le public est d’abord un peu décontenancé, puis captivé et conquis.
Quelques temps plus tard, je collabore à une petite revue musicale : « Tutti », créée par le délégué à la musique de la Drac du Nord Pas de Calais, Pierre Host. Maurice Fleuret a demandé à Pierre Host de monter une création de l’Italien Luciano Berio, « Accordo, mille musiciens pour la paix » pour les musiciens d’harmonie de la région. Je me retrouve dans la charpente de l’ancien palais de la Foire de Lille, à l’emplacement du siège du conseil régional et du futur siège de la MEL. A un moment donné, nous devons disperser sur la foule des « confettis » sur lesquels sont inscrits des petits messages de paix avec lesquels Berio souhaite accompagner sa musique. Les musiciens amateurs sont eux aussi un peu décontenancés au départ, mais la musique est bien écrite, ils y retrouvent des airs populaires qui constituent la substance de leur loisir favori. Ils finissent par adhérer. Une création contemporaine chaudement applaudie par des milliers de spectateurs, bissée, cela n’arrive pas tous les jours… L’expérience se renouvellera en Italie. Luciano Berio invite les harmonies régionales à traverser les Alpes pour jouer Accordo à Turin, sur la piazza San Carlo. 1000 musiciens régionaux en transit de Lille à Turin, en autobus, avec les instruments, ce sont des souvenirs qui ne s’effacent pas.
En 1981, Pierre Mauroy devient Premier ministre de François Mitterrand, et demande à Maurice Fleuret de l’accompagner à Paris, aux côtés du jeune ministre de la Culture, Jack Lang. Dès son arrivée à la Direction de la Musique, rue Saint Dominique, Maurice Fleuret propose à Jack Lang de faire du solstice d’été du 21 juin la Fête de la musique, qui fête donc cette année sa 38e édition.
Maurice Fleuret encourage le développement du chant choral et des chœurs d’enfants, à l’image de ce que pratiquent depuis toujours nos voisins allemands. Le Chœur régional Nord Pas de Calais date de cette époque. La direction de la musique favorise l’intégration des musiques traditionnelles et des traditions non écrites au sein des conservatoires mais aussi la création de classes à horaires aménagés dans les conservatoires et les collèges, le soutien à la création de nouvelles orgues, ou la restauration d’instruments existants dans les églises classées ou pas, le développement des musiques de rue. Dans le même temps, Maurice Fleuret soutient la construction de l’Opéra Bastille, de la Cité de la musique de la Villette.
En 1986, je me retrouve rue Saint Dominique, à la direction de la musique. Petit rappel historique, la droite a gagné en mars 86 les élections législatives, le Premier ministre de François Mitterrand, successeur de Pierre Mauroy est … Jacques Chirac. C’est la première cohabitation. Toute l’énergie de Maurice Fleuret et de ses équipes est consacrée à la pérennisation de la Fête de la musique. Son ministre de tutelle n’est plus Jack Lang, mais François Léotard. C’est ainsi que je deviens pour quelques mois collaborateur de Maurice Fleuret, et de son fidèle collaborateur, Alain Surrans, Lommois d’origine, qui sera directeur du Festival de Lille à son tour, quelques années plus tard.
Alain Surrans
Le pari est gagné. Le ministre reprend la tradition à son compte, et la Fête de la Musique devient adulte à cinq ans : elle franchit l’écueil des alternances politiques… Je garde notamment de ces moments très denses un souvenir tout particulier dans le bureau de Maurice Fleuret avec… Jacques Higelin, génial musicien, fabuleux improvisateur, extraordinaire artisan de la fête et de la musique, et une amitié prolongée avec Alain Surrans, aujourd’hui directeur général de l’opéra d’Angers, qui revient parfois voir ses proches, à Lomme et à Lille.
Dernier souvenir lié à Maurice Fleuret. A sa mort, en 1990, nous nous sommes retrouvés, ses amis, ses collaborateurs, ses proches, au théâtre des Champs Elysées pour une petite cérémonie en sa mémoire. Et nous avons écouté la Petite messe solennelle de Rossini, selon ses volontés. Cette œuvre de vieillesse, aussi belle et émouvante qu’impertinente me rappelle très souvent les exigences, les bonheurs, les visions, les recueillements et les colères de la belle personne qu’il était.
[…] PS. J’avais déjà évoqué la Fête de la musique en 2019 https://baillotlaretraite.com/2019/06/20/21-juin-ma-petite-histoire-de-la-fete-de-la-musique/ […]
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