Prendre de l’altitude à Colombey

boisserie 3

J’ai régulièrement l’occasion de transiter du Nord vers le Sud en passant par l’A26 et l’A5. C’est ce qu’on appelle l’autoroute des Anglais, qui permet aux sujets de sa très gracieuse majesté de filer rapidement vers des cieux plus bleus que ceux de la Manche et de la mer du Nord, en contournant le Bassin parisien.

J’ai à plusieurs reprises été attiré par la sortie 23 qui longe Ville-sous-la-Ferté et Clairvaux, connue pour sa magnifique abbaye du 11e siècle, un des foyers du rayonnement cistercien à travers l’Europe.

abbaye clairvaux

L’abbaye a été transformée par l’Etat en prison en 1808 qui a abrité entre autres Claude Buffet et Roger Bontems, guillotinés en 1972 pour le meurtre de Françoise Bésimensky en 1967, malgré les plaidoiries de Robert Badinter A la fin du XXe siècle (1972), le ministère de la Culture récupère ce qu’il reste de l’abbaye médiévale, et la tristement célèbre Maison centrale s’installe dans de nouveaux murs. Quelques hôtes de cette peu recommandable pension : Ilich Ramírez Sánchez, dit Carlos, Guy Georges, tueur de l’est parisien, condamné à l’emprisonnement à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans, et Youssouf Fofana, chef du gang des barbares.

maison centrale

Mais en poursuivant son chemin, on est abondamment guidé vers Colombey-les-Deux-Eglises et l’énorme Croix de Lorraine de granit rose, qui surplombe toutes les vallées avoisinantes.

croix lorraine

Mais que vous soyiez ou non Gaulliste, l’étape de la Boisserie est absolument indispensable.

Alors lieutenant-colonel, De Gaulle achète en viager, à un prix modeste correspondant à ses moyens d’officier cette maison et sa propriété de deux hectares en 1934. Le militaire prévoit que ses futures garnisons risquent fort de se situer à la frontière Est de notre pays, et il y voit la possibilité d’installer sa famille, et notamment sa fille Anne, porteuse de la trisomie 21, née à Trêves en 1928.

La famille imagine dans ce lieu la possibilité de retrouvailles sereines, loin des embarras de la capitale. On y installe l’eau et l’électricité et on s’y retrouve pour les vacances, jusqu’au déclenchement de la guerre.

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Colombey n’est pas le trou perdu qu’ont pu nous laisser nos souvenirs de collège et de lycée. A la frontière entre la Champagne et la Lorraine, on y vit bien, et la vue sur la campagne avoisinante est somptueuse. On peut s’y procurer un très bon champagne !

Bien évidemment, la Boisserie est désertée dès 1940.

Quand il part pour l’Angleterre, Charles De Gaulle est un militaire estimé de l’état-major, sans plus. Ce n’est en tout cas pas une personnalité politique de premier plan.

Il a certes été fait prisonnier lors de la Première Guerre mondiale. Certes, dans l’entourage de Philippe Pétain, il prône l’usage des divisions de blindés dans la guerre contemporaine. En mai 1940, colonel, il est placé à la tête d’une division blindée et mène plusieurs contre-attaques pendant la bataille de France ; il est promu général de brigade à titre temporaire le 25 mai 1940. Il est nommé sous-secrétaire d’État à la Guerre et à la Défense nationale dans le gouvernement Reynaud, pendant l’exode de 1940, avant son départ pour Londres et l’appel du 18 juin.

Les De Gaulle ne retourneront à Colombey qu’en 1946 pour y découvrir que les lieux ont été pillés par de nombreux visiteurs.

C’est à ce moment que le général décide d’y faire construire une tour octogonale qui prolongera la maison et abritera son bureau, et de s’y installer pour de bon avec Yvonne et Anne (décédée en 1948).

tour

On ne visite que le rez-de-chaussée de cette demeure qui est toujours la propriété de la famille De Gaulle. Les cris d’enfants laissent penser qu’elle est toujours une résidence familiale. Mais ces quelques pièces valent largement le détour. Dans le vestibule d’entrée, dans la salle à manger, les « ch’tis » retrouveront une quantité de souvenirs lillois où est né Charles et calaisiens où est née Yvonne Vendroux-De Gaulle. Ainsi une plaque émaillée de la rue Princesse, une collection de lampes de mineur…

Durant les onze années de présidence, les De Gaulle séjournent ici au moins un week-end sur deux. A sa démission en 1969, le général s’y installe définitivement jusqu’à son décès en 1970. Yvonne y vivra jusqu’en 1978. Mais c’est dans le salon et le bureau qu’on entre véritablement dans l’histoire.

Tous les puissants, toutes les têtes couronnées sont venues ici et ont leur photo dûment accrochée : le Shah d’Iran, Nasser, Hussein de Jordanie, Eisenhower, Churchill…. Ne reste qu’une seule survivante de cette époque : Élisabeth II !

adenauer

Un visiteur mérite une mention particulière : Konrad Adenauer. Le chancelier, en place à Bonn depuis déjà neuf ans rend une visite à celui qui n’est encore que président du conseil, le 15 septembre 1958. La petite histoire prétend que le chancelier et son chauffeur arrivent en retard au rendez-vous : ils avaient fait une première halte à Colombey-les-Belles, en Meurthe-et-Moselle… Mais c’est néanmoins à ce moment que se mettent en place l’entente franco-allemande et les prémices de l’union européenne ! Raisons pour lesquelles le chancelier passera la nuit sur place…

On peut observer entre autres une monumentale boîte à cigares offerte par Fidel Castro et la table de bridge à partir de laquelle le général regardait la télévision ou écoutait la radio, et sur laquelle il s‘est affaissé, victime d’une rupture d’anévrisme le 9 novembre 1970.

On entre religieusement dans le bureau contigu qui ouvre sur les coteaux de champagne et la plaine lorraine. Petite pièce octogonale, confortable mais sans plus, propice au travail et à la réflexion, d’où ont été écrites tant de pages de notre histoire.

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