Emilienne, Louise et Marie, Hicks et Thomson

Comme dans de très nombreuses communes de France, le 11 novembre 2018 marquait à Templemars l’apogée de cérémonies destinées à commémorer le centenaire de la guerre de 1914-1918. Pendant cinq ans, nous nous sommes efforcés de restituer avec nos moyens la réalité de notre commune il y a un siècle et les sacrifices que nos ancêtres avaient enduré.

Nous avions souhaité mettre cette année l’accent sur le centenaire de la signature de l’armistice de 1918. Ces commémorations avaient débuté le 19 octobre au cimetière municipal, pour rendre hommage à deux militaires britanniques.

Voici ce que j’avais déclaré à cette occasion

L’hommage que nous rendons aujourd’hui aux soldats britanniques tombés sur le sol de notre commune est tout particulièrement symbolique et important.

Depuis quatre ans, nous avons eu l’occasion les uns et les autres d’éclairer la réalité des sacrifices que nos aînés ont endurés durant cette période tragique de notre histoire. Nous-mêmes, nos enfants et nos descendants nous avons et nous aurons inéluctablement de cette époque une mémoire de plus en plus indirecte. Il est donc essentiel de la partager avec les moyens dont nous disposons, pour éviter qu’un jour notre pays ait à revivre une semblable tragédie.

Je m’en voudrais de ne pas mettre à l’honneur à cet effet le travail des très nombreux bénévoles qui s’attachent depuis des mois à préparer ces manifestations. Je voudrais citer en premier lieu les anciens combattants de l’UNC et leur président Michel Carlier, l’Association pour la sauvegarde du patrimoine historique de Templemars (ASPHT), présidée par Odile Watrelot, les Bleuets de la mémoire et Samuel Roty, le club des Nerviens, présidé par Dominique Blanchar, Yves Demeersman, infatigable collectionneur de cartes postales, l’attention des instituteurs et des directrices des écoles de la commune, l’incroyable travail du général Paul Morillon, qui s’est attaché à reconstituer une partie de l’histoire de notre village à partir des noms des victimes de cette guerre inscrits sur notre monument aux morts, les Jeunes du conseil municipal des enfants de Templemars,  l’Office de la culture, des sports et de l’animation templemarois (OCSAT), présidé par Jean-Noël Dandre.

J’entendais hier Michel Barnier, le négociateur français du Brexit, expliquer les imbrications qu’il est en train de dénouer pour parvenir à un accord de séparation entre le Royaume Uni et l’Union européenne. Notre aventure commune est aussi ancienne que complexe.

Pourtant, il semble bien que le 29 mars prochain, le Royaume Uni se détachera du continent européen. Nous sommes très nombreux dans notre pays, et aussi de l’autre côté de la Manche, à regretter cette décision. Mais nous avons bien été obligés les uns et les autres de prendre acte du résultat des urnes.

Je pense, j’espère, que l’histoire passionnante des relations entre nos pays ne s’arrêtera pas à cette date. Quoiqu’on dise,  quelque soient les voeux de certains prophètes de malheur, les Britanniques demeureront nos alliés, nos partenaires.

Les sacrifices des soldats Hicks et Thompson contribuent à la pérennité de l’amitié franco-britannique. Aujourd’hui, nous leur rendons hommage, et nous vous invitons à découvrir leur vie, leurs idéaux, pour qu’ils nous soient plus proches.

C’est ainsi que nous comprendrons mieux notre histoire, et que nous préparerons dans les meilleures conditions l’avenir de nos enfants.

Le 10 novembre, nous avons continué avec une remarquable conférence que nous a proposé le général Paul Morillon sur la vie et les sacrifices de Templemars durant la Grande guerre. Cela a débouché sur l’impression d’une brochure éditée par l’association pour la sauvegarde du patrimoine historique de Templemars, qu’on peut se procurer à prix modique auprès de ses membres.

Nous nous sommes ensuite retrouvé comme chaque année au monument aux morts pour la traditionnelle cérémonie du souvenir, qui revêtait bien évidemment un aspect particulier à cette occasion.

Michel Carlier avait continué comme il avait fait depuis 2014 à retracer la figure de tous les morts pour la France inscrits sur le monument et les . Les enfants des écoles ont chanté de manière fort émouvante le premier couplet de la Marseillaise, sous la direction de leur institutrice, madame Blot.

Voici ce que j’ai déclaré pour ma part à cette occasion

 

En ce centenaire de la commémoration de la victoire de 1918, nous nous demandons comment perpétuer le souvenir des sacrifices de nos ancêtres afin de préserver la paix sur notre terre.

Je dois dire que les nombreuses initiatives locales qui ont été prises ces jours-ci incitent à l’optimisme, quoiqu’en disent certains contempteurs.

Nous le voyons hier soir et ce matin, nous l’avons vu le 19 octobre dernier, et vous le verrez tout à l’heure dans la salle Desbonnet, il est possible de faire revivre très concrètement la vie de notre commune il y a 100 ans, et les changements qu’a induit la « Grande guerre » dans la vie quotidienne.

Nous ne pouvons plus compter sur les témoins directs, et nous devons faire des efforts de plus en plus considérables pour restituer une réalité que par définition nous ne connaissons pas de manière sensible.

Depuis 5 ans, les uns et les autres se sont efforcés de faire revivre et d’approfondir la vie de Templemars dans ces années troublées. Nous savons pourtant que demeurent d’immenses zones d’ombre et un travail considérable pour tous ceux qui s’attachent à entretenir notre mémoire. Une guerre, ce sont des combats, des stratégies, mais c’est surtout la vie de millions de gens modestes, femmes et hommes, qui est bouleversée.

Ce matin, je voudrais mettre l’accent sur quelques visages d’acteurs et témoins de cette époque, qui nous sont familiers ou pas.

Je vous présente en premier lieu Emilienne. Elle est fille de mineur, et elle vit à Loos-en-Gohelle, où s’est rendu il y a quelques jours le président de la République. Le 25 septembre 1915, les Anglais s’installent dans son village. Emilienne Moreau n’hésite pas. Elle va à leur rencontre, organise dans la maison familiale un poste de secours, et lance une grenade sur deux soldats allemands, avant de tirer au pistolet sur deux autres ennemis embusqués « J’ai tué des hommes. Tout cela s’est passé en quelques minutes. Je n’ai pas eu le temps de penser et de m’interroger », expliquera t-elle lorsqu’elle est citée à l’ordre de l’armée par le général Foch.

En 1940, Emilienne est institutrice. Elle entre dans les réseaux de résistance, en compagnie de son mari Juste Evrard. A la Libération, elle est une des six femmes faites Compagnon de la Libération par le général de Gaulle, et demeure dans sa région natale, où elle décède en 1971.

Un autre sourire : Louise. Elle est la fille de Julienne Mabille de Poncheville et de Henri de Bettignies. Celui-ci a dû vendre la faïencerie familiale de Saint-Amand peu avant la naissance de sa fille. La famille est réputée, mais désargentée. Louise fait ses études à Valenciennes et se destine dans un premier temps au Carmel, avant de se placer comme gouvernante dans des familles anglaises et allemandes.

En 1914, Louise de Bettignies prend part à la défense de Béthune, assiégée par les Allemands. Sa connaissance des langues anglaise et allemande fait qu’elle est contactée par les services de renseignements et crée dans la région lilloise le « réseau Alice », chargé de surveiller la frontière belge et les mouvements allemands. Louise et ses amies vont se dépenser sans compter pour transmettre, souvent à pied, toutes sortes de renseignements aux états-majors français et allemands. Leur travail permet notamment d’anéantir 2000 pièces d’artillerie à Carency et Loos-en-Gohelle et de fournir des informations essentielles concernant la bataille de Verdun.

Louise est arrêtée en octobre 1915. Les Allemands ne parviendront pas à démonter le réseau Alice. Louise de Bettignies est condamnée à mort pour espionnage en 1916, mais sa peine est commuée en détention à perpétuité, en raison de la notoriété de sa famille. Elle meurt en prison en Allemagne en septembre 1918. Son corps sera rapatrié solennellement en février 1920. Elle repose au cimetière de Saint-Amand-les-Eaux, et une place du Vieux Lille porte son nom.

Dernier visage : celui de Marie, née à Varsovie en 1867. Son père est professeur de mathématiques et de physique et sa mère est institutrice. Pour pouvoir poursuivre des études scientifiques, Marie quitte son pays pour la France en 1891, où elle approfondit ses connaissances en magnétisme de la matière et rencontre son futur mari Pierre Curie. En 1898, le couple présente ses travaux sur la radioactivité et la découverte du radium et du polonium. En 1903, ils obtiennent avec Henri Becquerel le prix Nobel de physique. Son mari meurt en 1906, Marie continue ses recherches et reçoit en 1911 un deuxième prix Nobel, de chimie cette fois pour ses propres travaux sur le radium. Dès le début du conflit, Marie Curie va beaucoup s’impliquer pour que la nouvelle technique de la radiographie soit disponible sur le front, afin d’aider les chirurgiens à localiser puis extraire les fragments métalliques dans le corps des blessés, assistée de sa fille Irène Joliot-Curie. Les deux femmes créent les «petites Curies», des ambulances radiologiques dont 900 000 soldats bénéficient. Elles forment des centaines de femmes manipulatrices radio. Une rue de la commune porte aujourd’hui le nom de Marie et Pierre Curie.

Emilienne, Louise et Marie, dormez en paix. Votre conviction, votre détermination demeurent des exemples pour aujourd’hui et pour demain. Nous-mêmes, nos enfants et nos petits enfants, nous saurons être dignes de votre labeur et de votre sacrifice.

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